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Stille Sehnsucht - Warchild
ein Film von Christian Wagner
 

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balkan blues trilogy
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  Le rêve volé.
Ou: Le Conte silencieux de la vérité

Interview du producteur et réalisateur Christian Wagner à l'occasion de la projection en avant-première de L'Enfant de la guerre au 30ième Festival des films du monde de Montréal qui lui a attribué le Prix du Meilleur scénario (2006) Propos recueillis par Ana Radica

1. Les guerres se multiplient ces derniers temps dans les diverses régions du monde ; tout le monde pense notamment au conflit au Proche-Orient. Les enfants sont les premières victimes de ces guerres. Que dites-vous à ceux qui voient dans votre film un plaidoyer contre la guerre ?

Lorsque nous avons lancé le projet, c’était la guerre en Irak qui faisait rage, aujourd’hui, c’est la guerre au Proche-Orient et demain ou après-demain, ce sera encore autre part. Devant nos postes de télévision, nous avons fini par nous habituer à ce genre de nouvelles : attentats-suicides, 34 soldats tués. On ne parle guère des civils, des innocents, vieillards, enfants, femmes ou pacifistes dont la vie est sacrifiée. La politique de l’agression a toujours pour conséquence que la guerre, de quelque côté que ce soit, taille des blessures profondes dans les cœurs des gens.
Mais la guerre était pour nous davantage une toile de fond sur laquelle se déroule l’action du film. Plutôt que de ressasser les clichés éculés et les images violentes qui peuplent nos subconscients, j’ai préféré raconter au public une histoire à caractère universel, compréhensible dans le monde entier, une épreuve, un processus de maturation chez un personnage d’aujourd’hui qui a perdu toute confiance et se trouve soudain en situation de lâcher prise, où renoncer à l’enfant devient la forme la plus accomplie de l’amour.

 2. Votre film précédent, « Ghettokids », traite d’enfants défavorisés. Dans « L'enfant de la Guerre », c’est encore un enfant qui grandit dans une situation très particulière. 
Pourquoi les enfants sont-ils si présents dans votre oeuvre ?

Les enfants sont notre avenir. Dans quelle mesure avons-nous le droit de les exposer à des conflits ? Mon scénariste bosniaque Edin Hadzimahovic m’a raconté un jour son histoire fétiche d’un enfant bosniaque que son grand-père recherche et parvient à retrouver à Londres. J’ai tout de suite été électrisé par cette histoire. Dans mon film, Senada, qui n’a pas été franchement gâtée par le destin, se trouve face à un dilemme cornélien: doit-elle, après une si longue odyssée, laisser sa fille dans sa famille d’accueil, ou doit-elle la ramener avec elle ? Un conflit moderne qui frappe sans doute plus de familles que l’on imagine. Séparation, divorce, déménagement d’un parent...

 3. «L'enfant de la Guerre» met en lumière une conséquence de la guerre souvent sous-estimée : le destin des orphelins. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce sujet ?

Le nombre des orphelins en ex-Yougoslavie est impossible à déterminer avec précision. Les chiffres officiels font état, pour la seule Bosnie, de plus de 2.500 enfants. Le nombre réel est certainement plus élevé et on n’entend presque jamais parler de ces enfants qui ont perdu leurs parents. A Sarajevo pendant le tournage, chaque chauffeur de taxi, réceptionniste ou entraîneur de football à qui j’ai parlé me racontait son histoire, évoquant ses chers disparus les larmes aux yeux. Quand on a perdu des proches, pis encore ses parents ou enfants pendant la guerre, on est complètement désespéré. Aujourd’hui encore, il existe des parents en ex-Yougoslavie qui savent que leurs enfants ont été adoptés à l’étranger, mais ils n’ont aucune chance de récupérer leur fille ou leur fils... C’est en infraction au droit international sur l’adoption. Chacun comprend bien qu’il s’agit là du comble de la cruauté...

 4. L’histoire de «L'enfant de la Guerre» se passe en Bosnie. Votre court-métrage « Zita » est lui aussi indirectement lié à l’ex-Yougoslavie, et vous préparez actuellement « Alcatrash ». Ces trois films forment la trilogie « Balkan Blues ». Pourquoi vous, réalisateur allemand, vous engagez-vous tant pour la cause de ce pays ?

Le court-métrage « Zita » (25 minutes), récompensé à Turin par un prix spécial du jury, est le point de départ d’une trilogie dont chacune des parties est autonome. Mais dès qu’il sera possible de regarder les trois éléments l’un à la suite de l’autre, de tous nouveaux rapports se feront jour par le biais des protagonistes qui réapparaissent au gré des épisodes. Dans «L'enfant de la Guerre» par exemple, Miranda Leonhard joue Marija Zitaric, qui vit dans une pension croate à Ulm, point de ralliement pour Senada. Ceux qui ont vu « Zita » connaissent son passé. Et dans « Alcatrash » cette actrice interprète l’un des premiers rôles, un personnage qui retourne dans les Balkans pour une mystérieuse « mission ». Nous en profiterons d’ailleurs pour poursuivre l’histoire de Senada et lui rendre visite. Ceci suscitera des échos et créera de nouveaux liens. Il y a longtemps que je suis fasciné par les flux migratoires en Europe, qui s’accompagnent pour les intéressés d’une rupture avec leur patrie et de changements radicuaux. De l’est vers l’ouest et vice-versa. Où sommes-nous chez nous ? C’est la question que se pose également la petite Aida/Kristina, âgée de 12 ans. Où est sa vraie patrie, ici où là-bas ?

 5. Vous présentez avec précision et justesse le renoncement et l’intransigeance de la maman d’Aida. Quel est le message que vous voulez adresser au public, notamment aux jeunes ?

Au début du film, on voit une jeune femme moderne qui mène une vie débridée et sans retenue, comme si elle voulait à tout prix refouler quelque chose. Ce qui m’intéresse, dans tous mes films, c’est de montrer le revers de la médaille ; en l’occurrence, on voit Senada, au début du film, comme une femme forte, et plus tard, on se rend compte de sa lutte pour retrouver sa file, dont elle a intuition qu’elle est peut-être encore en vie. Imperturbable, elle poursuit son chemin qui la mène pas à pas vers l’âpre vérité. C’est un peu comme un conte en demi-teinte qui raconte un rêve perdu.
Pour les jeunes, il peut être intéressant de voir de quelle façon le destin a frappé des gens de leur âge, voire des camarades de classe. Nos écoles comptent de plus en plus de classes multiculturelles. Par conséquent, il est important de faire la lumière sur leur pays d’origine et leur mentalité. En outre, j’ai pris conscience de l’importance d’une famille intacte.

 6. «L'enfant de la Guerre» a pour thème central la famille. Que représente la famille pour vous ?

La notion de « famille » a énormément changé. De nombreux jeunes ont des parents divorcés. Les enfants se demandent par conséquent où est leur véritable foyer, chez la maman, le papa, chez les deux ? C’est souvent un juge qui tranche pour décider chez lequel des parents un enfant doit vivre. On m’a parlé d’enfants dont les parents sont divorcés, et qui vivent un véritable cauchemar lors d’une telle audience, puisqu’ils aiment et leur mère et leur père. C’est le même genre de tension que vit Senada après avoir découvert où est sa fille, qui vit dans ce que l’on a coutume d’appeler une « famille heureuse », sans même savoir qu’elle a été adoptée. Pour le parent qui doit « abandonner » son enfant, ceci pose de gros problèmes. J’ai eu moi-même le bonheur de vivre dans une famille intacte, et ce soutien m’a été un renfort qui m’a facilité les choses pour ma carrière de cinéaste.

 7. De nos jours, on considère le terme « d’amour maternel » comme appartenant à une époque révolue. Mais dans votre film, il joue un rôle essentiel. Pourquoi est-il si important pour vous ?

Il faut faire la part des choses et se demander quelle est le degré d’égoïsme dans nos rapports avec les enfants. Quelle importance accorde-t-on au bien-être de l’enfant, nos agissements sont-ils dictés par notre égoïsme émotionne. Ce n’est que si je suis capable de renoncer à quelque chose qui me tient profondément à cœur que se manifeste l’amour véritable. Pensez par exemple à la fameuse pièce de Bertolt Brecht, « Le cercle de Craie Caucasien ». Dans quelle mesure un être humain peut-il supporter la séparation ?

 8. Il est clair que l’association avec Brecht s’impose. Senada, la maman d’Aida/Kristina, est-elle une « Mère Courage » des temps modernes ?

Oui, Senada est une femme qui s’impose par sa vitalité et sa manière de prendre les choses en main, et ce malgré les échecs qu’elle essuie. Dans la pièce que vous venez de citer, et qui se passe au cours de la Guerre de Trente Ans, « Mère Courage » parcourt les régions en guerre avec sa carriole de marchande ambulante pour faire des affaires afin de subvenir à ses besoins et à ceux de ses trois enfants qui l’accompagnent. Mais cette guerre, qui la nourrit, lui enlève ses enfants. Senada par contre n’est pas responsable de la perte de son « enfant volé », car c’est son mari Samir qui a autorisé l’adoption de la fillette, certes pour de nobles raisons. En fin de compte, il voulait sauver sa fille des dangers et bouleversements de la guerre et l’a confiée à la Croix-rouge. Il n’en a parlé à personne et en a fait un secret de famille pour ménager son épouse. L’une des nuances que nous avons relevées est précisément le fait que des mariages se défont en raison de conflits qui ne sont pas en rapport avec la vie familiale ou conjugale elle-même. Mais la guerre met les hommes et les femmes à rude épreuve.

 9. «L'enfant de la Guerre» traite notamment de l’éclatement et de la construction d’une famille. Un sujet d’actualité, puisque la famille recomposée est à l’ordre du jour. La structure classique de la famille, telle que nous la connaissons, n’est-elle plus d’actualité ?

Il est intéressant de constater que de nos jours les gens se marient à nouveau plus jeunes, et ce dans un souci de sécurité. En même temps, la « grande » famille n’existe plus. La cohabitation de trois générations offrait de grands avantages, tout en entraînant la promiscuité et en limitant la liberté individuelle. Maintenant, les mariages mixtes et les familles hétérogènes sont légion. Ceci est souvent générateur de conflits, un défi que nous devons relever. La famille est toujours la référence suprême, mais elle a vu ses tâches se multiplier. Les parents d’aujourd’hui doivent arriver à tout concilier : la carrière professionnelle, les enfants et l’épanouissement personnel. Mais ceci ne va pas sans frictions.

 10. Quel en est l’impact sur l’évolution du sens des responsabilités vis-à-vis des autres ?

Les parents sont responsables des enfants ; jadis, les enfants n’avaient pas voix au chapitre mais l’éducation actuelle leur accorde souvent une grande autonomie. En fin de compte, les enfants ont besoin de repères précis et il ne faut pas sous-estimer la valeur de l’exemple. Il faut dire que notre société ne s’illustre pas toujours par un comportement exemplaire, ce qui favorise l’égoïsme et le manque de respect envers l’autre.

 11. Quelle est l’importance de l’appartenance ethnique, renforce-t-elle le sentiment de cohésion au sein d’un groupe, ou par rapport à une nation ?

Si Aida/Kristina, notre fille « volée », veut un jour en savoir plus sur ses origines, elle s’adressera à ses parents adoptifs. Les deux acteurs qui interprètent les parents Heinle ont eux-même longtemps songé à adopter un enfant. Mais Crescentia Dünsser et Otto Kukla sont arrivés à la conclusion qu’il est difficile de « transplanter » un enfant africain en Allemagne et ils ont fini par décider de parrainer un orphelin.
Il y a à Berlin une agence internationale de recherche de personnes : « Le temps des retrouvailles » (« Wiedersehen macht Freude »). On peut charger cette association de retrouver des amis ou parents dont on a perdu la trace. Je pense que chacun s’est demandé, au moins une fois dans sa vie, par exemple à l’âge de l’adolescence, s’il est vraiment l’enfant de ses parents et si son père est effectivement son géniteur, etc. Ce sont là des questions très humaines. La quête de l’appartenance à un clan, à un village est un phénomène important, car ces liens se sont dénoués.

 12. Pouquoi avez-vous surtout choisi des acteurs originaires des Balkans pour la distribution, et comment les avez-vous trouvés ?

Nous nous demandions depuis des années à qui confier le rôle principal. Et nous avons eu la chance de tomber sur Labina Mitevska, très connue dans les Balkans. Elle a commencé à apprendre l’allemand pour le tournage, aidée par un coach linguistique. Et j’ai constaté lors du tournage que non seulement Labina Mitevska, mais également les autres acteurs étrangers, notamment Senad Basic (Samir) et Zdenko Jelcic, qui interprète Dzigera (ce nom est un sobriquet pour « foie »), sont très disciplinés et très engagés. Il faut savoir que dans leur pays ils sont tous des stars. La langue n’a posé de problème à aucun moment, même s’il n’est pas facile de s’exprimer dans une langue étrangère.
Mais le langage cinématographique est tellement international qu’en fin de compte il est plus important que la distribution soit cohérente. La Macédonienne Labina Mitevska a failli nous faire défaut, car elle devait tourner un autre film dans sa patrie, pour lequel elle avait déjà signé depuis un certain temps et dont la société de production avait fini par réunir les fonds. Il a même fallu reporter de six semaines le tournage pour l’attendre, afin qu’elle puisse jouer le rôle principal. Mais sa présence a réellement été une aubaine pour nous. J’ai vraiment apprécié son professionnalisme et la perfection de son jeu. La distribution d’un film comporte toujours des risques. Je connaissais Labina Mitevska depuis « Before the Rain », « Welcome to Sarajevo » et « I want you », les deux derniers étant de Michael Winterbottom. Je note toujours les acteurs avec lesquels j’aimerais bien tourner, et elle comptait parmi ceux-là. En tant que réalisateur, on découvre constamment des possibilités de distribution, en voyant un film avec de bons acteurs. Et il y a aussi le rôle, bien sûr. En outre, Labina Mitevska avait été nommée « European Shooting Star » à la Berlinale de 1998. Certes, lorsqu’elle s’est dédite en raison de son autre film, nous avons bien recherché quelqu’un d’autre, mais j’étais tellement convaincu qu’elle était l’actrice idoine que je me suis accommodé des inconvénients. Bien sûr, le film a coûté plus cher, mais il a assurément gagné en qualité. Dans ce genre de situation, la double casquette de producteur et de réalisateur peut poser des problèmes. Il y a d’une part l’aspect financier et d’autre part les choix artistiques. Je pense que j’aurais dû m’incliner si, dans un pareil dilemme, un autre producteur avait imposé une autre actrice. Mais dans ce cas précis, en visionnant le film terminé, je suis absolument convaincu de la justesse de mon choix. Labina Mitevska correspond à 100 % à ce que j’avais imaginé.

 13. La coproductrice slovène Dunja Klemenc est votre partenaire pour le financement de ce film. Comment est née cette coopération et quelle était la répartition des tâches ?

La première fois que j’ai rencontré Dunja, c’était à Munich, par l’entremise de Barbara Glauning, une personne très impliquée dans les activités cinématographiques, qui était au courant de mon projet. En tant que partenaire majoritaire de cette coproduction, j’ai évidemment été très heureux de trouver une productrice aussi sérieuse et qui allait de succès en succès. Elle avait déjà coproduit d’autres films, tels que « No Man’s Land », un film européen récompensé d’un OSCAR. Elle m’a non seulement donné de précieux conseils pour ma première coproduction européenne, mais son expérience de tournages en ex-Yougoslavie a également été la bienvenue. En fait, pour ce projet, une coproduction européenne s’imposait.

 14. A-t-il été difficile de convaincre les acteurs de participer à un film sur ce sujet ? Après tout il s’agit de leur patrie et des gens qui y vivent.

Les acteurs originaires de l’ex-Yougoslavie étaient pour la plupart ouverts à l’intrigue. Ce qui n’a rien d’étonnant, puisque « L’ENFANT DE LA GUERRE » est un drame dans lequel l’enfant, bien qu’absent, tient secrètement le premier rôle. C’est cela qui plaît aux acteurs, même si certains pensaient pouvoir engranger des cachets faramineux, comme il s’agissait d’une coproduction germano-slovène. C’était évidemment impossible, et même une star comme Katrin Saß, qui tournait là son premier long métrage depuis « Goodbye Lénine », était surtout intéressée par le sujet. En effet, dans le paysage médiatique actuel, il y a de moins en moins de rôles sérieux. Ce n’est donc pas l’appât du gain qui prime.

 15. A-t-il été difficile de trouver des partenaires et des soutiens financiers ?

Tout d’abord, Edin et moi avons lancé le projet, puis nous avons trouvé en la personne d’Uli Hermann, du SWR, un chargé de programme qui s’est engagé très tôt et était vraiment un partisan de ce film. Il a travaillé avec nous longtemps et avec persévérance le développer. Le prochain à craquer pour notre idée a été Carl Bergengruen, le responsable de l’unité Fiction du SWR. Bettina Reitz, du BR, et Andreas Schreitmüller, d’Arte, nous ont rejoint dès que je premier jet du scénario fut bouclé. Le premier gros soutien, un demi-million d’euros, nous a été accordé par MFG, du land de Bade-Wurtemberg, puis nous avons encore obtenu des fonds de la part de FFF (Bavière) et BKM. Ce n’est que relativement tard que j’ai réussi à persuader Dunja Klemenc à se joindre à nous, ce qui nous a permis de réaliser la première coproduction germano-slovène avec Eurimages. Ils nous ont accordé environ 15 % du budget, et sans leur contribution, nous n’aurions pas pu tourner le film. Ensuite, Stefan Dähnert a exercé une influence décisive sur la version définitive du scénario, au niveau dramaturgique et sur le plan du contenu. Cela a été encore une étape importante : de l’idée de départ avec la fiche technique au lancement dans les salles obscures, quatre ans ont passé ; il faut donc être vraiment convaincu de l’histoire et de la nécessité de la raconter !

16. Une partie de vos tournages a eu lieu sur place, en Bosnie. Comment avez-vous obtenu les autorisations nécessaires et quel soutien vous ont apporté les gens là-bas ?

Nous avions des chefs de plateau expérimentés et des coproducteurs exécutifs qui ont tout organisé à merveille. Je m’y suis rendu très souvent, mais chaque repérage impliquait un trajet de 2.500 kilomètres, car il n’était pas possible de prendre l’avion, les lieux de tournage étant très disséminés, et il fallait travailler avec la plus grande efficacité en raison du budget restreint. Si on voit qu’un film comme « Syriana » a eu plus de 80 jours de tournage, on sait que sur le plateau tout le monde a travaillé dur, bien sûr, mais ils avaient plus de marge de manoeuvre et pouvaient être plus précis dans les détails. Ils ont tourné constamment avec deux caméras, ce qui permet un autre mode de travailler que chez nous. Tandis que pour nous, les tournages durent en général moins de la moitié, à peine plus de 30 jours, dans 3 pays et à 7 endroits différents. Nous sommes soumis à une forte pression, ne serait ce que pour mener à bien à bout du projet et, qui plus est, dans un pays étranger. Lorsque nous avons voulu tourner le bus en flammes, notre grue a rendu l’âme et nous n’étions plus certains de pouvoir respecter le planning, où les séances de tournage étaient minutées. Finalement, nous avons reçu sur place le soutien nécessaire et avons pu tourner la scène. Malgré le stress, j’aime bien travailler dur sur le plateau chaque jour, me lever tôt. En fait, j’adore tourner. A ce niveau, je souhaiterais disposer des mêmes moyens que les Américains, à savoir faire un film du début à la fin en disposant de tout l’argent nécessaire. Mais ce n’est pas pour autant que je me sens attiré par Hollywood.

 17. Comment s’est passée la collaboration au sein de l’équipe de tournage, puisqu’elle était composée de personnes originaires des différentes républiques l’ex-Yougoslavie ?

Il a bien sûr fallu se rapprocher, pour moi aussi, la situation était inhabituelle. J’avais déjà beaucoup tourné à l’étranger, par exemple au Tibet, mais toujours avec une équipe à cent pour cent allemande. Mais ici, le sujet à lui seul exigeait un respect absolu, et rien que la collaboration avec Dusko Milavec, mon décorateur en Bosnie et en Slovénie a été très bonne. En outre, l’élaboration commune du projet a donné lieu à une synergie entre les collaborateurs artistiques (acteurs et équipe de tournage) et des prestations techniques (studio et équipement). Bref, nous avons pu pleinement tirer profit du savoir-faire des autres. Nous avions par exemple un assistant-réalisateur de Kusturica, qui a merveilleusement mis en scène le marché de Brcko, avec des figurants triés sur le volet qui évoluaient sur le plateau avec la même aisance que s’ils se trouvaient en pleine réalité – à la différence près que tout était une mise en scène.
Pour moi, faire du cinéma signifie reproduire par des images concentrées les états d’âme et les facettes cachées de mes protagonistes. Jusqu’à présent, j’ai eu la chance de pouvoir travailler avec quelques-uns des meilleurs caméramen allemands. Jürgen Jürges, par exemple, qui a photographié « Zita », « Ghettokids », « Far Away so Close » et « Funny Games ». Ou encore Thomas Mauch, qui a tourné « Aguirre », « Fitzcarraldo » et « Wallers letzter Gang ». Ce sont tous deux des artistes qui garantissent une qualité optique idéale. Dans ce film également, comme dans les précédents, nous avons voulu raconter avec des images dont émane une certaine atmosphère et qui sont émouvantes sans toutefois être pathétique un psychodrame qui finit par déboucher muer de manière inattendue et avec légèreté sur un sentiment de soulagement.

 18. Que souhaitez-vous pour les familles concernées ? La solution proposée dans votre film est-elle pour vous la bonne, ou logique ?

Nous avons longtemps réfléchi à la fin du film. Il ne peut y avoir de jugement de Salomon, prononcé par une instance supérieure ; chacun doit trouver sa propre solution, puisqu’on ne peut pas couper l’enfant en deux et le répartir entre les parents.
Au départ, nous voyions Senada dans la posture d’une victime classique. Comme dans « Zita », je suis fasciné par les rapports entre la victime et le coupable. Au bout du compte, nous en avons fait un personnage actif dont on suppose qu’il sera prêt à tous les sacrifices pour récupérer sa fille. Elle dépasse ses propres limites. Je souhaite aux familles de trouver la paix intérieure. Senada est à la recherche de son enfant, et malgré tout elle cherche encore bien plus une solution à son dilemme. Avec tout l’espoir qu’elle a accumulé en dix ans, son chemin la mène de Bosnie en Allemagne, après divers détours. Elle confronte les parents adoptifs de sa fille à la guerre, oubliée depuis longtemps, et aux bouleversements refoulés de la crise des Balkans.
C’est une histoire moderne, l’histoire pleine de passion d’une femme forte qui poursuit sa voie, même si elle n’a pas été gâtée par le destin. Nous avons voulu raconter l’histoire d’une constellation familiale dramatique, avec l’interaction de la personnalité des protagonistes et de leurs sentiments, présents en filigrane et en sous-texte. En dépit de la progression dramatique, la fin du film reste « ouverte ». Chacun se demandera s’il vaut mieux que l’enfant retourne chez sa vraie mère, ou s’il serait préférable qu’elle reste avec ses parents adoptifs ; ou faut-il peut-être laisser la fillette de 12 ans décider elle-même ? A mon sens, la grande force du cinéma réside dans le fait que l’on peut laisser le film se poursuivre dans la tête du spectateur, même après que celui-ci a quitté la salle et qu’il rendre chez lui en emportant un peu de la profondeur, de l’âme et de la véracité de l’existence. C’est d’ailleurs pour cette raison que le piano qui accompagne le générique de fin continue de jouer encore un certain temps après le fondu au noir.

 

 

   

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